Interview à Anne Goscinny, Bodoï magazine
Êtes-vous favorable, dans l’esprit, à la reprise des séries après le décès de leur auteur ? N’est-ce pas nier le talent individuel d’un auteur que de croire que d’autres peuvent continuer leur œuvre ?
(…) Lorsqu’un auteur créé des personnages, installe un univers, décide d’y placer des adjuvants et des opposants récurrents, ainsi bien sûr que des enjeux qui auront en commun ce qui symbolisera l’univers précité, il donne à son oeuvre, inconsciemment peut-être, toutes les chances de lui survivre.
En effet les codes ayant été parfaitement énoncés sont donc suffisamment lisibles pour qu’un autre, un jour, puisse se les appréhender et la continuer. (…) Je ne crois pas qu’une reprise d’une série préexistante soit la négation du talent de l’auteur d’origine. Au contraire même, elle peut être vécue par les lecteurs comme un hommage. La seule négation qui tendrait à me faire peur est celle de l’auteur qui vient après, l’auteur «bis».
Certains éditeurs, comme Claude de Saint Vincent, estiment que les personnages de BD sont plus forts que leurs créateurs. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que cette assertion n’a pas grand sens. Comment peut-on comparer un personnage de papier à celui qui lui a donné vie ? Dit-on que les marionnettes prennent le pouvoir sur le marionnettiste ?
En réalité vous posez là, d’une autre façon, la même question que la précédente. Qui restera le plus longtemps dans nos mémoires de Flaubert ou de Madame Bovary ? Ils sont égaux, mais il est impossible de les mettre sur le même plan. L’un a créé l’autre. L’autre a rendu l’un immortel.
Est-ce difficile de voir d’autres auteurs s’emparer et, par nature, modifier l’univers créé par votre père ?
(…) Le fait de modifier l’œuvre d’origine, c’est inhérent au principe même de l’adaptation. La limite étant la dénaturation.
Que pensez-vous des auteurs qui décident de leur vivant que leur œuvre mourra avec eux ? En l’espèce, que pensez-vous de la volonté exprimée par Albert Uderzo qu’Astérix ne lui survive pas? Avez-vous votre mot à dire dans cette décision ?
En ce qui concerne Astérix, je suis certaine que personne mieux qu’Albert Uderzo n’aurait pu reprendre la plume de mon père. Quand Albert Uderzo écrit un nouvel Astérix, il ne me soumet ni le scénario, ni le synopsis, ni même l’argument. Je ne juge pas cette façon de ne pas solliciter mon avis (encore moins mon accord!). Je n’ai aucune raison d’intervenir.
Cependant [la volonté exprimée par Albert qu’Astérix ne lui survive pas] me surprend et m’attriste car elle prouve qu’il n’a manifestement pas suffisamment confiance en ses héritiers pour que soit après lui respectée l’esprit de son œuvre. Astérix est toute sa vie et je peux entendre qu’il mette tout en œuvre pour le protéger. Mais à l’origine de l’aventure qui nous occupe aujourd’hui, ils étaient deux.
La déclaration d’Albert Uderzo n’engage que lui. Mon père ne s’est jamais exprimé sur ce sujet. Je suis dépositaire du droit moral de mon père, à ce titre il eut été juste de me demander si je pensais qu’Astérix avait droit à une seconde vie. Je ne me permettrai jamais de prendre la parole pour mon père. Jamais non plus, je ne le ferai penser, rire ou sourire. Mais ne pas solliciter mon opinion à ce sujet est une forme de négation de l’auteur mort de la part de l’auteur survivant.
Peut-on dire qu’une œuvre est mortelle ? Si oui, c’est qu’elle ne méritait pas de survivre à son créateur.
De toute façon, Astérix lui survivra, comme Tintin a survécu à Hergé, comme Gaston Lagaffe a survécu à Franquin. Les personnages de papier ne meurent pas. Constat inaudible pour les humains que nous sommes!
Gracias a El Blog de Astérix el Galo, donde se comentaba la entrevista